mardi 29 août 2023

Macron à l'école de la Belgique - "Évaluer les enseignants, une révolution ?"

Dans Le Point, le 24 août, Macron annonce que l'école "est devenue un sujet régalien" (domaine réservé du président de la République... aux côtés de l'Armée ?...).

Et il précise, à propos des professeurs  :
 
"Il faut encourager ceux qui font bien leur travail. Si des gens ne le font pas assez, on les sanctionne". 
 
"Évaluer, évaluer, évaluer" devient le leitmotiv dans toute l'Europe (et ailleurs, au Québec, etc.). Pour améliorer les résultats ? Ou pour soumettre l'école et les personnels aux exigences du marché, du patronat ? Certains pays  ont une longueur d'avance sur la France : c'est la cas de la Belgique. Ci-dessous, un article paru dans la presse belge :

Évaluer les enseignants, une révolution ?

Faut-il évaluer les enseignants et éventuellement les licencier en cas de mauvaise évaluation ? Les syndicats sont vent debout contre le projet de la ministre Caroline Désir. Ils vont à nouveau la rencontrer aujourd’hui sur le sujet. Mais c’est un bras de fer qui dure en réalité depuis plus de 30 ans.

Vieille question

Depuis la fin des années 80, cette question s’est posée de manière aiguë : les enseignants doivent-ils rendre des comptes à la société ? Jusqu’à quel point sont-ils responsables du taux important d’échec et de la faible efficacité de l’enseignement ?

Ce débat s’est ouvert fin des années 80, très vite après la communautarisation, face aux mauvaises performances de l’enseignement francophone et son coût comparativement élevé face aux autres pays. Mais ce débat s’est refermé, gelé. Les années 90 ont été marquées par les grandes grèves des enseignants suite aux problèmes budgétaires de la Communauté. Le débat sur la responsabilité des enseignants s’est alors figé. Plus aucun ministre n’a vraiment osé rouvrir cette boîte de Pandore et affronter les syndicats sur cette question. Jusqu’à Joëlle Milquet et son Pacte d’excellence, où la question de la responsabilité des enseignants a été à nouveau posée, parmi des tas d’autres questions, et avec la participation de presque tous les acteurs de l’enseignement autour de la table.

Logique de contrat

Que dit le Pacte d’excellence, aujourd’hui porté par Caroline Désir ? Il est prévu que les écoles se dotent de plan de pilotage. C’est-à-dire -et c’est une petite révolution- que les écoles soient quelque part sous contrat, un contrat d’objectif, avec le pouvoir subsidiant, la Communauté française. Et dans cette logique de contractualisation, il est prévu que la direction évalue les profs par rapport aux objectifs du contrat. En cas d’avis défavorable, il peut y avoir des sanctions et éventuellement un licenciement.

Les syndicats émettent beaucoup de critiques. D’abord, que l’évaluation existe déjà, via l’inspection (mais elle est très limitée). Qu’il est déjà possible de licencier un prof nommé (même si c’est quand même très, très compliqué), qu'il y a un risque d’arbitraire avec cette procédure, qu’on risque de décourager encore une profession en pénurie… Enfin, certains pointent aussi une logique néolibérale qui serait à l’œuvre, une logique de performance, d’autoritarisme.

Efficacité

Les syndicats, vent debout, refusent que la logique de contractualisation descende jusqu’aux enseignants eux-mêmes. Pourtant, cette question est ouverte depuis plus de 30 ans. Elle n’était pas posée par des personnalités néolibérales adeptes du culte de l’évaluation. En 1990, François Martou, président du MOC, le mouvement ouvrier chrétien, disait sur un plateau de la RTBF : "Je ne suis pas sûr que les enseignants, qui sont un peu individualistes, sont bien au courant de leur performance. Trop d’enseignants pensent qu’un bon enseignement c’est aussi des échecs. C’est jamais leur faute quand un étudiant rate. La question n’est pas de culpabiliser les enseignants, mais de retrouver un contrat positif entre la société, les orientations budgétaires et la qualité de l’enseignement".

Qualité, performance, contrat, efficacité, responsabilité, les mots de François Martou ont traversé 30 ans de vie politique pour résonner aujourd’hui dans le Pacte d’excellence. A l’époque, ses déclarations s’étaient pourtant attiré les foudres virulentes de Régis Dohogne, le patron de la CSC enseignement. Et c’est lui, le syndicaliste, qui avait gagné.

Après des années de grèves, ce qui a triomphé comme vision c’est que les enseignants n’étaient responsables, en aucune manière, de la faible efficacité de l’enseignement francophone, qu’au contraire la qualité dépendait de la quantité de profs et de leurs conditions de travail. Le bras de fer actuel n’est pas le début d’un conflit. C’est, peut-être, la fin d’un très long débat entamé dès la fin des années 80.

 https://www.rtbf.be/article/evaluer-les-enseignants-une-revolution-11166939

 Et aussi :

"Pas de date ni d’ultimatum" : des syndicats d’enseignants déposeront un préavis de grève ce lundi

Les syndicats libéraux et socialistes actifs dans l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) annoncent dimanche qu’ils déposeront un préavis de grève lundi 28 août, jour de rentrée scolaire. En cause : le décret sur le développement des compétences et l’évaluation des enseignants approuvé par le parlement de la FWB le 19 juillet dernier.

"Il n’y a pas de date et pas d’ultimatum, précise Joseph Thonon, le président de la CGSP enseignement. Ça dépendra fortement des consultations que nous aurons avec le gouvernement et de l’avancée des projets. On verra, en front commun, ce que nous pourrons faire pour faire évoluer les dossiers."

Le préavis de grève couvrira "toute action d’ici à la fin de la législature", préviennent le SETCa-SEL, la CGSP-Enseignement, le SLFP-Enseignement et Appel dans un communiqué de presse commun. "La temporalité et les modalités des actions ne sont, à ce jour, pas encore établies. Elles dépendront surtout de la volonté du gouvernement de travailler et d’avancer sur le reste de nos revendications", précisent-ils.

Parmi leurs desiderata, on note la réduction de la taille des classes, la valorisation de l’enseignement qualifiant ou encore l’alignement du rythme scolaire de l’enseignement supérieur à celui nouvellement adopté par l’enseignement obligatoire.

Le controversé décret sur le développement des compétences et l’évaluation des enseignants voté le 19 juillet vise à élaborer pour ses professeurs, en particulier les plus jeunes, un plan de développement de leurs compétences professionnelles. En cas de carence ou de mauvaise volonté manifeste à l’issue des formations, une procédure d’évaluation pourra être lancée. Elle implique un plan d’accompagnement individualisé pour chaque enseignant. À l’issue de celui-ci et si aucun progrès n’est constaté, une procédure de licenciement pourra être entamée. Un recours est néanmoins possible.

Les syndicats socialistes et libéraux qualifient ce décret de "déplorable" et le considèrent comme un "changement de cap désastreux du Pacte pour un enseignement d’excellence". L’application du décret est prévue pour janvier 2024. Le volet "évaluation" n’entrera, lui, en vigueur qu’à la mi-2026.

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Sur les orientations de l'enseignement en Europe 

à écouter : 

Nico Hirtt : les compétences au détriment des savoirs - YouTube

et à lire, ou relire :

De l’évaluation des compétences à la casse des diplômes nationaux et du statut